Fait religieux dans l'entreprise : Versailles lève le voile !
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Il y a déjà près de 3 ans, nous nous interrogions dans ces colonnes sur l’impact de la Loi Travail du 8 août 2016 autorisant les entreprises à inscrire dans leur règlement intérieur un « principe de neutralité » limitant la « manifestation des convictions des salariés ».
Notre questionnement était d’autant plus justifié qu’il ne s’agit en aucun cas d’un principe absolu, à la différence de la fonction publique où laïcité et neutralité sont de rigueur.
La Loi précise en effet que les restrictions à la manifestation des convictions des salariés ne sont possibles que si elles sont justifiées « par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise, et si elles sont proportionnées au but recherché » (article L 1321-2-1 du Code du travail).
Par « convictions », sont visées les convictions politiques, philosophiques et religieuses des salariés.
On comprend alors toute la prudence du législateur qui s’est emparé d’un sujet embarrassant qui stigmatise pour beaucoup une seule et même religion, et se résume ainsi à la question taboue du port du foulard islamique dans l’entreprise.
Cette question vient néanmoins d’être tranchée par le Juge, après un véritable marathon judiciaire international :
L’affaire concernait une salariée, ingénieur d’études au sein de la société Micropole (conseil en informatique), licenciée le 22 juin 2009 pour refus d'ôter son voile lorsqu’elle était en contact avec la clientèle.
Six ans, jour pour jour, après avoir eu gain de cause devant la Cour d’appel de Paris (18/04/2013, n°11/05892) qui avait jugé son licenciement valable, l’employeur a finalement été lourdement sanctionné par la Cour d’appel de Versailles (18/04/2019, n°18/02189), juridiction devant laquelle l’affaire a été renvoyée après cassation.
Les juges versaillais ont repris à leur compte les règles dégagées par la Cour de Cassation, mais aussi par la CJUE (Cour de Justice de l'Union Européenne).
En effet, le 9 avril 2015, la Cour de cassation avait demandé à la CJUE si l'interdiction de porter le foulard islamique lors de la fourniture de services de conseil en informatique à des clients pouvait être considérée comme une "exigence professionnelle essentielle et déterminante".
Assurément non, selon l’Union Européenne, selon laquelle accéder à un souhait d’un client ne saurait justifier, en soi, une entorse à la (sacrosainte…) liberté religieuse !
Ainsi, faute d'obligation de neutralité valable pour l’ensemble du personnel, et prévue dans le règlement intérieur, le licenciement d'une salariée motivé par son refus d'ôter son voile lors de ses contacts avec la clientèle est discriminatoire selon la CJUE (14-3-2017 aff. 188/15), solution reprise par la Cour de cassation (Cass. soc. 22-11-2017 n° 13-19.855) et confirmée aujourd’hui par la Cour d’appel de Versailles.
En constatant que l'interdiction du port de signes religieux résultait seulement d'un ordre oral adressé à une seule salariée, et visait un signe religieux déterminé, les juges versaillais ont condamné lourdement l’employeur puisqu’en raison de cette discrimination directe, le licenciement est jugé nul.
A bon entendeur de la jurisprudence européenne, employeurs, vous ne pouvez valablement imposer aux salariés une obligation de neutralité générale (leur interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux), que si celle-ci est à la fois :
- prévue dans le règlement intérieur (ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que celui-ci) ;
- générale et indifférenciée ;
- appliquée aux seuls salariés en contact avec la clientèle.
Ce raisonnement « pur jus européen », particulièrement protecteur de la liberté religieuse, n’est pas prêt de réconcilier la frange la plus nationaliste de notre pays avec les institutions européennes !
Pour être valable au regard la condition de généralité précitée, la clause de neutralité insérée dans le règlement intérieur ne doit pas viser que l’expression des convictions religieuses, mais aussi les convictions politiques et philosophiques.
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